Corsair, institutions ivoiriennes et patriotisme mal placé : sortir de la crise de l’ignorance collective

Depuis quelques jours, une convention renouvelée entre certaines institutions publiques ivoiriennes et la compagnie aérienne Corsair alimente polémiques, critiques acerbes, soupçons de collusion et indignations enflammées sur les réseaux sociaux. Une affaire, à première vue banale, est ainsi devenue un champ de bataille idéologique, où chacun y va de son jugement sans vraiment prendre la peine de comprendre les enjeux réels.

Et si, au fond, cette polémique révélait surtout une crise plus grave : celle de notre ignorance collective ?

Une polémique sans fond : où sont les vraies questions ?

Avant de juger, il faut comprendre. Et pour comprendre, il faut poser les bonnes questions. Que contient exactement cette convention ? Est-elle contraignante ? Oblige-t-elle les fonctionnaires et les hauts cadres de l’État à voyager exclusivement avec Corsair ? Quelles sont les contreparties pour l’État ivoirien ? Quels gains financiers, quelles économies ou avantages logistiques sont en jeu ?

Rien ou presque n’a filtré sur ces éléments clés, et pourtant le procès est fait, les verdicts sont tombés : “ils sont tous cupides”, “ils privilégient Corsair pour des commissions occultes”, “ils trahissent Air Côte d’Ivoire”, etc. Ces accusations sont graves, souvent infondées, et alimentées par un populisme informationnel, plus soucieux d’émotion que de raison.

Air Côte d’Ivoire : un patriotisme économique à géométrie variable

Il est tout à fait légitime de défendre les intérêts d’Air Côte d’Ivoire, notre compagnie nationale. Mais encore faut-il le faire en connaissance de cause.

La question à se poser est simple : Air Côte d’Ivoire dessert-elle toutes les destinations couvertes par Corsair ? Peut-elle acheminer rapidement, régulièrement et sans escale des délégations officielles vers des villes comme Paris, Marseille, Pointe-à-Pitre, Saint-Denis de la Réunion, etc. ? Est-elle outillée pour offrir des tarifs institutionnels compétitifs sur le long courrier ?

Le patriotisme économique ne doit pas être dogmatique. Il doit être stratégique. Encourager Air Côte d’Ivoire, oui. Mais lui imposer ce qu’elle ne peut pas encore offrir revient à l’emmener droit dans le mur. Soutenir une entreprise nationale, ce n’est pas la rendre prisonnière de missions pour lesquelles elle n’a ni flotte ni structure adaptée.

Il faut recadrer : une gestion publique responsable n’est pas un spectacle

Ceux qui ont validé cette convention ne sont ni infaillibles ni intouchables. Mais il faut aussi admettre que la majorité d’entre eux sont des hauts responsables administratifs qui savent distinguer l’intérêt de l’État de leurs intérêts personnels. Leur faire porter collectivement le soupçon de trahison relève de la paresse intellectuelle.

La priorité devrait être de demander à voir :

Le contenu de la convention ;

L’analyse financière comparative entre Corsair et d'autres compagnies ;

Un plan gouvernemental progressif de renforcement d’Air Côte d’Ivoire.

C’est par la transparence et la pédagogie qu’on peut construire un débat responsable, pas par le lynchage numérique.

Construire l’avenir : lucidité, souveraineté et efficacité

La souveraineté aérienne de la Côte d’Ivoire ne se construira ni par la colère, ni par les hashtags. Elle se construira par :

Des investissements progressifs dans notre compagnie nationale pour élargir son rayon d’action ;

Des conventions équilibrées et transparentes avec des partenaires étrangers ;

Une culture de responsabilité partagée, où l’État, les entreprises publiques et l’opinion avancent avec lucidité.

 

Refusons la confusion. Réclamons la clarté. Et surtout, apprenons à distinguer le symbole de la réalité, l’émotion de la stratégie, l’indignation du patriotisme constructif.

Auteur: Yeo D. Moustapha, Analyste de l'intelligence économique et stratégique

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