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Contribution/ Dr Ibrahim Mayaki, Secrétaire exécutif du NEPAD : « Zone de libre-échange continentale africaine : une autre étape importante vers l’intégration de l’Afrique »

Par Dr Ibrahim Mayaki*

En tant que relativement jeune ministre, au milieu des années 1990, parmi mes collègues de l’Organisation de l’Union africaine (OUA), je me suis demandé si l’Afrique allait se ressaisir et aller de l’avant.

À cette époque, le Rwanda sortait de son génocide et la plus grande partie de l’Afrique de l’Ouest connaissait encore des coups d’Etat militaires. L’Afrique centrale était plutôt calme mais certains pays y connaissaient des tensions politiques subtiles, avec ce que l’on appelle la « première guerre du Congo » qui se déroulait alors dans l’ex-Zaïre, aujourd’hui République démocratique du Congo (RDC). Tandis que la guerre civile en Somalie s’intensifiait, l’Éthiopie, en Afrique de l’Est, commença l’expérience d’un État développementaliste sous le Premier ministre Meles Zanawi et l’Érythrée obtint son indépendance.

L’Afrique du Nord était à peu près intacte, avec des dirigeants « forts » aux manettes de l’État, et dont certains ont joué un rôle important dans le processus de paix israélo-palestinien qui a abouti à la création de l’Autorité nationale palestinienne. La fin de l’apartheid et l’avènement d’une Afrique du Sud démocratique a été le point le plus positif de cette période pour l’OUA, qui a démontré que celle-ci, en tant que mouvement panafricain, avait atteint son but ultime de libérer politiquement l’Afrique.

À l’échelle mondiale, le milieu des années 1990 a également vu la montée des médias alternatifs et nouveaux, le multiculturalisme et le renforcement des principes démocratiques. Grâce à l’Internet et la télévision par satellite, le monde était en effet en train de changer, mais l’Afrique était toujours considérée comme le continent sans espoir.

Avançons dans le temps. Ce mois-ci à Kigali, lors de la 10e session extraordinaire de l’Assemblée de l’UA, les dirigeants africains se sont réunis pour signer leur signature sur l’établissement d’un accord de zone de libre-échange continentale africaine (ALE).

Une fois mis en œuvre, l’accord fera du continent la plus grande zone commerciale du monde où les biens et services pourront être librement échangés entre les États membres de l’Union africaine. Sur les 55 Etats membres de l’Union africaine, 44 ont signé leur accord sur l’AfCFTA, 43 pays ont signé la Déclaration de Kigali, et 27 ont signé le Protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et le droit d’établissement.

Suite à la ratification de l’AfCFTA par les pays, sa mise en œuvre augmentera le commerce intra-africain de 52% d’ici 2022. En outre, l’accord contribuera à la suppression des droits de douane sur 90% des biens et libéralisera les services et fera disparaître les autres barrières qui entravent le commerce entre les pays africains, tels que les longs délais aux postes frontaliers.

Je dois dire que c’était un moment de fierté pour l’Afrique et pour moi en particulier dans la salle plénière du Palais des Congrès de Kigali, que d’observer ce moment émouvant mais joyeux et enthousiaste, où chaque leader africain ou son ministre à tour de rôle venaient apposer leur signature aux Accord, Protocole et Déclaration, le tout sous la direction éclairée du Président du Niger, SE Mahamadou Issoufou en tant que Chef de l’ALEFF, flanqué du Président Paul Kagame du Rwanda et actuel Président de l’UA, et SE Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l’Union Africaine.

L’Afrique, une terre caractérisée par des cultures et des ethnies riches et diverses, avec une multitude de civilisations, s’efforce depuis 60 à 50 ans de devenir intégrée et pertinente. Dans leur livre intitulé Le pouvoir de Babel, Ali et Alamin Mazrui ont noté que « l’hétérogénéité ethnique de l’Afrique se reflète dans la langue. Par habitant, il existe un plus large éventail de langues en Afrique que dans n’importe quel autre continent du monde. Par une étrange tournure de la destinée, il y a aussi plus de pays francophones, anglophones et lusophones en Afrique que partout ailleurs dans le monde ».

De manière intéressante, l’une des langues les plus dynamiques au monde se trouve également en Afrique - le kiswahili, une langue bantoue, s’est répandue à travers l’Afrique de l’Est au Congo et vers le sud en Afrique australe. Par conséquent, un continent aussi complexe a vu depuis son époque post-coloniale le besoin de s’intégrer pour qu’il puisse devenir globalement et économiquement efficace, et pour influencer la géopolitique mondiale.

La fin progressive du colonialisme dans les années 1960 et 1970 s’avère maintenant avoir apporté des bénédictions mitigées à l’Afrique. Nous avons maintenant 55 pays ; 47 d’entre eux sont sur le continent africain et les autres sont des nations insulaires. Ainsi, la fin du colonialisme a donné naissance à de nouveaux États multiples qui transcendent l’ethnicité, les cultures, les normes traditionnelles et les systèmes de valeurs des gens.

En 1963, les nouveaux pays africains « indépendants » se sont réunis pour former une organisation (OUA) qui favoriserait l’unité et la solidarité des nouveaux pays africains et agirait comme une voix collective pour le continent africain.

Malgré ce désir ambitieux, ces mêmes pays ont également souligné l’importance de la souveraineté territoriale de leurs pays respectifs et, par conséquent, l’OUA est restée neutre en ce qui concerne les affaires internes propres à chaque pays. Vers le milieu des années 1970, des blocs économiques régionaux (maintenant appelés Communautés économiques régionales) ont commencé à émerger.

Bien que les deux voies d’intégration identifiées par l’Afrique aient été de nature formelle et volontaire, elles ont toutes deux été influencées par la situation géographique et la proximité des États-nations influencés par des points communs culturels et linguistiques.

Il y avait aussi d’autres tentatives d’intégration historiques, involontaires dans leur nature : un bon exemple était le système de la commune française en Afrique de l’Ouest pendant le colonialisme. La Fédération du Mali, l’Union Ghana-Guinée-Mali, la Fédération de la Rhodésie et du Nyassaland et la Confédération de la Sénégambie ont également été témoins d’une autre forme d’intégration « circonstancielle » à petite échelle, malheureusement toutes ces fédérations et confédérations se sont effondrées avec le temps.

D’un autre côté, les pays qui ont été intégrés juste après l’indépendance ont tenté de se désintégrer ou même de devenir des États-nations distincts.

Ainsi, malgré les formes d’intégration que l’Afrique ou certaines parties de l’Afrique ont expérimentées, le Traité d’Abuja a créé en 1991 la Communauté économique africaine (CEA). Le Traité d’Abuja a proposé que les communautés économiques régionales (CER) soient les piliers de l’intégration africaine.

Dix ans plus tard, en 2001, au Sommet de l’OUA, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) a été adopté par les chefs d’État et de gouvernement africains comme programme socioéconomique devant accélérer la coopération économique et l’intégration entre pays africains.

Le même Sommet de l’OUA a reconnu la nécessité d’une implication étroite dans la formulation et la mise en œuvre de tous les programmes des CER au sein de l’Union africaine. En outre, le Sommet de l’OUA / AEC à Lomé, au Togo, a adopté l’Acte constitutif de l’Union africaine, qui a officiellement remplacé l’OUA en 2002.

Après ces jalons importants pour la discussion et de l’agenda de l’intégration africaine, est venu le processus de réforme pour une architecture africaine dynamique, qui a réintroduit le programme d’intégration. La discussion a généralement conclu qu’en raison des économies d’échelle et des modestes économies de la plupart des pays africains, une dimension et une approche régionales de la transformation de l’Afrique étaient la meilleure voie à suivre.

La poursuite de l’intégration de l’Afrique, comme je l’ai souligné entre autres, impose une nécessité forte de repenser les priorités de l’Afrique. Une stratégie cohérente et consolidée a donc été lancée à l’occasion du 50e anniversaire de l’unité africaine.

En 2013, les chefs d’État et de gouvernement africains ont adopté l’Agenda 2063 en tant qu’expression des intentions politiques et des aspirations du continent, guidés par une nouvelle vision d’un continent intégré et prospère. L’Agenda énonce la détermination et l’engagement renouvelés de l’Afrique à poursuivre une croissance et un développement socio-économiques soutenus.

Le premier plan décennal de mise en œuvre, qui s’étend de 2013 à 2023, s’inspire largement des expériences de mise en œuvre du programme du NEPAD. Bien que le Plan énonce les grandes priorités et les programmes de développement, il est nécessaire de traduire davantage la vision de développement de l’Afrique en actions concrètes.

Afin de répondre au plan de mise en œuvre décennal de l’Agenda 2063, l’Agence du NEPAD redéfinit sa structure afin de renforcer son efficacité par l’établissement de normes, une gouvernance améliorée et une prestation efficace avec une supervision diligente et une gestion saine d’une série de projets.

Cela permet à l’Agence d’anticiper et de fournir une valeur ajoutée stratégique à la fois sur le continent et au niveau mondial. Notre objectif principal serait de servir de groupe de réflexion fournissant non seulement un apport stratégique sur les questions de développement au niveau continental, mais aussi axé sur la mise en œuvre à travers des approches régionales.

Notre rôle clé serait également de servir dans une structure de gestion de fonds créant les conditions d’une mise en œuvre efficace des initiatives et des programmes continentaux. L’Agence du NEPAD a été réorientée pour exécuter son travail à travers 4 grands programmes à savoir: (i) Industrialisation, science, technologie et innovation (ii) Intégration régionale, infrastructure et commerce (iii) Gouvernance des ressources naturelles; et (iv) Compétences et emploi pour les jeunes.

À l’échelle mondiale, la plupart des économies développées commencent à se tourner vers leur marché intérieur et à renforcer leurs systèmes financiers respectifs afin de se préparer à la quatrième révolution industrielle, l’âge de la sagesse.

L’Europe atteint un point de saturation en termes de dépenses de consommation, et continue de se tourner vers son marché intérieur, qui est aux prises avec des défis politiques ayant abouti à un tournant politique idéologique à droite, renforcé par la crise croissante de l’immigration et de l’émigration. Le terrorisme s’est fortement intensifié ces dernières années dans les zones de conflit et représente un risque croissant pour les principales économies du monde.

L’OCDE prévoit une croissance du PIB mondial d’un modeste 3 et demi pour cent en 2018 d’un peu moins de 3% en 2016. Malgré la croissance moyenne prévue en 2018, l’impact que l’Afrique aura sur l’économie mondiale restera très marginal en raison du fait que le continent n’ajoute pas de valeur au processus de production, et ce, uniquement à cause du manque d’industrialisation et de compétitivité de l’Afrique sur le plan international.

La comparaison entre la démographie de la Chine (1,3 milliard de personnes) et de l’Afrique (1,1 milliard de personnes) est saisissante : la Chine contribue à environ 15% à l’économie mondiale, et ceci est le résultat de l’investissement récent de la Chine dans la production industrielle de masse dans le cadre d’une politique industrielle articulée et exécutée depuis les années 1970.

Permettez-moi d’insister rapidement sur le fait que ces chiffres ne doivent pas être compris comme de simples chiffres, mais ils reflètent d’une part le triste état de la réalité africaine et d’autre part amplifient les opportunités que l’Afrique peut exploiter en surpassant rapidement la technologie, pour industrialiser et élever notre peuple de la pauvreté à la prospérité.

Bien que nous tenions dûment compte des succès de mise en œuvre enregistrés dans les grands projets d’infrastructure sur le continent africain, la question de l’Afrique en tant que destination à risque continue d’entraver le développement et la mise en œuvre des projets.

Malgré des mécanismes d’atténuation des risques, ainsi que des stratégies de réforme des politiques et de la réglementation mis en place pour répondre à certains des défis rencontrés dans le financement des projets d’infrastructure en Afrique, cette question du risque continue de poser des défis à la communauté des investisseurs institutionnels dans sa détermination à participer plus activement au financement de l’infrastructure africaine.

L’Agence du NEPAD, sous la direction de l’Union africaine, est particulièrement bien placée pour piloter son initiative MoveAfrica en reliant le Programme pour le développement des infrastructures en Afrique (PIDA) et le guichet unique, avec des initiatives de facilitation des échanges comme le programme de l’Union africaine. Pour stimuler le commerce intra-africain (BAIT) et le cadre pour l’accélération du développement industriel de l’Afrique (AIDA).

Le continent africain ne peut espérer l’industrialisation sans infrastructures de transport fonctionnelles. L’industrialisation nécessitera une amélioration quantitative de l’infrastructure et une simplification radicale et une harmonisation des conditions et des procédures réglementaires, pour permettre aux entreprises et aux entreprises d’effectuer des échanges significatifs au-delà des frontières.

Le Réseau d’entreprises continental (NEA) de l’UA-NEPAD poursuit son programme de réduction des risques liés aux projets d’infrastructure en tant qu’élément clé pour attirer des financements. Les fonds de pension et les fonds souverains ont émergé comme le catalyseur clé pour combler ce déficit de financement. En septembre 2017, le NEPAD, sous la direction de la CBN, a lancé une campagne révolutionnaire dirigée par l’Afrique et dirigée par l’Afrique, visant à augmenter les allocations des propriétaires d’actifs africains aux infrastructures africaines à partir de sa base actuelle d’environ 1,5% actifs sous gestion (ASG) à 5% d’ASG percutants.

La CBN a appelé à un engagement plus stratégique avec les investisseurs institutionnels nationaux à l’appui de cette campagne. L’objectif de la campagne Agenda 5% est de travailler avec les fonds de pension et les fonds souverains, y compris les ministres des Finances, pour augmenter progressivement les investissements dans l’infrastructure, utiliser les ressources financières disponibles sur le continent et renforcer les partenariats public-privé.

En conclusion, l’AfCTA est une étape monumentale pour l’Afrique ; une autre étape importante dans le processus d’intégration en Afrique. Je dois cependant souligner que l’AfCFTA a été signé à Kigali, la capitale qui a connu une véritable tourmente il y a 24 ans, mais qui est maintenant prête à devenir le futuriste « Wakanda ».

*Dr Ibrahim Assane Mayaki est le Secrétaire Exécutif de l’Agence de planification et de coordination du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD). Précédemment, il a occupé plusieurs postes ministériels au sein du gouvernement du Niger et des fonctions dans plusieurs organismes internationaux.

Auteur:
LDA Journaliste