Jacqueville – Tentative d’incendie du site gazier d’Avagou : ce que cache l’affaire
Abidjan, 25 octobre 2025 (La Diplomatique d’Abidjan) – La tentative d’incendie de la chambre de transfert de gaz de la société FOXTROT, dans la nuit du 23 au 24 octobre à Avagou, près de Jacqueville, soulève des interrogations qui dépassent le simple registre du fait divers sécuritaire. Si le parquet d’Abidjan a parlé d’« acte de terrorisme d’une particulière gravité », les signaux observés sur le terrain révèlent les contours d’un jeu d’influence plus complexe, mêlant politique, manipulation sociale et infiltration locale.
Un acte planifié, mais déjoué à temps
Selon le communiqué du Procureur de la République, les individus à l’origine de la tentative ont visé une infrastructure critique : le système de transfert de gaz alimentant une partie du réseau industriel côtier. L’attaque, si elle avait réussi, aurait pu provoquer des dégâts humains et économiques considérables.
Fort heureusement, l’incendie n’a pas pris. Mais pour les observateurs locaux, le choix de cette cible n’a rien d’anodin : il s’agit d’un site hautement symbolique, situé à la croisée des enjeux énergétiques et politiques du littoral.
Un climat de défiance attisé depuis plusieurs semaines
Cette opération survient dans un contexte de tension latente à Jacqueville, où plusieurs initiatives de contestation ont été signalées depuis l’interdiction d’une marche politique le 11 octobre dernier. Le parquet évoque la multiplication d’actes de violence, d’incitations à la haine et à la désinformation — autant d’indices d’un terrain fragilisé par des influences extérieures.
Nos sources locales évoquent un réseau mouvant de partisans et d’intermédiaires politiques, certains identifiés comme militants politiques, d’autres se présentant comme militants civiques « en colère ». Dans les villages environnants, ces acteurs se seraient engouffrés dans des failles sociales, entre autres, chômage, ressentiment communautaire, rivalités foncières. Pour y propager un discours anti-institutionnel. L’attaque d’Avagou pourrait dès lors constituer le premier acte visible d’une stratégie d’agitation orchestrée sous couvert de mobilisation citoyenne.
Les dessous d’un entrisme politique silencieux
À en croire plusieurs témoignages recoupés par La Diplomatique d’Abidjan (LDA, www.ladiplomatiquedabidjan.net), une dynamique d’entrisme politique se serait mise en place dans certaines localités de Jacqueville, avec pour objectif de rallier des relais communautaires à une cause politique présentée comme “alternative”.
Des élus locaux, parfois passifs, parfois complices, auraient toléré l’émergence de groupes de jeunes se réclamant d’un “redressement moral” du pays, un langage familier de certains cadres de l’opposition radicale.
Cette porosité entre structures locales, activisme politique et insécurité rampante traduit une mutation du mode opératoire des contestations : la rue cède la place à des actions symboliques de sabotage, destinées à frapper l’opinion et à tester la réactivité de l’État.
Une manne gazière mal perçue ?
Mais au-delà du politique, une autre question dérange : celle de la redistribution de la manne financière issue des activités gazières de FOXTROT.
Chaque année, la société verse d’importantes contributions à la communauté villageoise de Jacqueville, qui regroupe plusieurs localités dont Jacqueville, Sassako, Djem et Avagou, au titre des retombées économiques liées à l’exploitation du gaz. Ces ressources sont destinées à soutenir des projets communautaires, l’emploi des jeunes et le développement local.
Or, paradoxalement, le mécontentement des jeunes demeure palpable. Beaucoup dénoncent l’absence de transparence dans la gestion de ces fonds, l’opacité des circuits de décision et la faible visibilité des projets réalisés.
« On parle de millions versés chaque année, mais nous, sur le terrain, on ne voit rien », confie un jeune de Djem joint par La Diplomatique d’Abidjan. « On ne sait pas où va cet argent, ni qui le gère réellement. »
Ces frustrations, savamment instrumentalisées par certains acteurs politiques, pourraient avoir alimenté un climat de rancune propice à la manipulation.
Ainsi, derrière la tentative d’incendie d’Avagou se cache un malaise social profond, où la question de la redistribution de la rente locale s’ajoute à la défiance envers les institutions et les élites locales.
Un paradoxe d’autant plus regrettable que FOXTROT ne mérite pas d’être la cible d’une telle violence, l’entreprise ayant multiplié, depuis des années, les initiatives de dialogue et de soutien communautaire. Notre grand dossier sur ce sujet explosif bientôt.
Une menace hybride à surveiller
Le parquet d’Abidjan a promis la fermeté : tous les auteurs et commanditaires seront « recherchés, interpellés et jugés conformément à la loi ». Mais sur le terrain, les forces de sécurité font face à une réalité plus insidieuse : celle d’un mouvement polymorphe, difficile à identifier, où la politique, la criminalité et la communication s’entremêlent.
Ce nouveau schéma inquiète les analystes sécuritaires. Il suggère une tentative d’affaiblissement progressif des institutions par des actions ciblées, couplées à une propagande numérique relayée sur les réseaux sociaux locaux.
Autrement dit, une stratégie d’usure du pouvoir par le désordre, menée par des acteurs périphériques, mais connectés à des sphères politiques plus centrales.
L’urgence d’une réponse fine et anticipée
L’État a, pour l’heure, évité le pire. Mais la multiplication de ces signaux faibles à Jacqueville exige plus qu’une réaction judiciaire : elle appelle une lecture stratégique du phénomène.
Le renseignement territorial, la coordination civilo-militaire et la vigilance des autorités locales devront être renforcés avant que ce type d’actes ne s’enracine dans d’autres zones sensibles du pays.
La tentative d’incendie d’Avagou n’est pas seulement un incident de plus dans le registre des violences politiques. Elle s’impose comme un test grandeur nature de la résilience de l’État face à de nouvelles formes de déstabilisation.
Mais elle met aussi à nu les failles internes d’un modèle de gouvernance locale, où les retombées économiques de l’exploitation gazière peinent encore à se transformer en bien-être partagé.
Sous les cendres d’Avagou, ce sont les fractures sociales, politiques et économiques d’un territoire convoité qui se dessinent.
LDA, La Rédaction
Auteur: LDA Journaliste